Dernièrement,
la projection de ce film réalisé par la jeune Orane Burri m’a marquée (dans le
cadre de la journée pour la prévention du suicide, organisée par SOS amitié).
Il porte sur un sujet délicat, très fort, qui m’apparaît aujourd’hui comme approprié
pour le thème de ce mois. Il apporte à mes yeux une réflexion essentielle sur
la vie. C’est également un rappel de l’existence de ces âmes esseulées, démunies
face à certaines difficultés, qui ne demandent alors qu’un peu d’aide. Ces
personnes fragiles sont sur le fil, et manquent de confiance Et ce manque est amplifié
par un très fort besoin d’attention.
Thomas,
22 ans, est arrivé à un moment de sa vie où rien ne va, où les certitudes
s’effondrent. Pendant que d’autres construisent leur vie, sans lui, la solitude l’enveloppe et le torture.
Cinéaste amateur, il va décider de se filmer régulièrement, seul dans sa chambre,
en confiant ses sentiments à la caméra, en vue de réaliser sa triste œuvre
ultime. Ainsi une complaisance dans le malheur lui donne une certaine importance.
Il s’efforce alors de vivre encore un peu pour mieux mourir aux yeux des autres…
pour son dernier moment de « gloire ». C’est l’idée d’œuvre qui
apparaît dans la mise à mort organisée de Thomas : œuvre de sa propre
mise à mort. Thomas est confronté à l’apocalypse du
ressenti de sa vie, et l’acte du suicide apparaît comme l’unique et dernier
moment de sortir de cette vie invivable, afin d’aller vers un meilleur, une
renaissance, car rien ne pourra être pire que l’actuel présent…
Pour
que les choses soient plus claires, cette vidéo rappelle les débats autour de Tabou et nous éclaire sur le sens qu’a
voulu donner la réalisatrice à son film. Cette vidéo est un extrait d’une
soirée télévisée spéciale sur la chaîne suisse TSR.
Bouleversement
à la limite du traumatisme, il faut s’accrocher dans la projection, car ce
n’est malheureusement pas une fiction que l’on regarde. Nous sommes projetés
dans le réel, dans la vie de ce jeune homme, au cœur d’une sorte de journal
intime. Nous devenons les spectateurs de son désespoir et de son déclin, de son
tiraillement entre la fascination de la mort et son aspiration à survivre
malgré tout. Il s’agit d’un des films les plus durs que j’ai vu, du fait de sa
réalité, mais aussi parce que certains problèmes qu’évoquent Thomas peuvent
nous rappeler nos propres moments de doutes, de tristesse, nos propres faiblesses.
Si nous avons, nous, réussi à les surpasser, Thomas lui n’en a pas eu la force,
ou les moyens. Sûrement n’y croyait-il pas vraiment.
C’est
aussi notre impuissance à agir qui nous bouscule : nous sommes spectateurs
de l’intimité la plus profonde de Thomas, à la place de sa caméra, auditeurs de
ses pensées, et nous avons envie d’agir, de l’aider (on oublie que nous sommes
au cinéma, face à un écran et à des faits passés). Nous prenons alors
conscience que nous ne sommes pas plus puissants que la famille de Thomas ou
ses proches, qui ne savent rien de ses pensées, qui seront face au fait
accompli et à l’irrémédiable. Ils seront surpris et se diront « pourquoi
il ne m’a rien dit ? » et surtout : « pourquoi n’ai-je rien
vu ? ».
C’est
du manque d’amour que la fin de Thomas commence, de la rencontre avec cette
jeune fille (la cinéaste Orane Burri elle-même). Thomas s’enflamme et brûle
d’espérance, et celle-ci, comme souvent est déçue. Parce qu’il est déjà dans un
état d’esprit dépressif, celui-ci sombre. Il s’isole, voit moins ses amis, et
commence à ne penser qu’à son grand projet, seul évènement qui lui apparaît
alors comme positif, parce qu’à ce moment là, il sera le centre de l’attention.
Il
est difficile de se mettre à la place de cette jeune cinéaste, personnage
discrète dans ce film, mais pour autant essentielle. Comment gérer son éventuel
sentiment de culpabilité ? Comment ne pas remettre en question ces actes
passés ? Et surtout, comment avancer ? Celle-ci a décidé, par respect
et amitié entre autres, de faire se réaliser l’ultime souhait de Thomas en
montant ce film. En y liant les témoignages de ses amis les plus proches et de
sa famille, la cinéaste cherche alors de chercher d’éventuelles réponses aux
questions que tout le monde se pose dans une telle situation.
Cependant
la projection de cette soirée spéciale « Briser le tabou du suicide »
sur la Tsr ne s’est pas déroulée sans polémique. En effet, un magazine nommé Le
Temps dénonce la spécificité de la personnalité de Thomas « Par son narcissisme exacerbé, son égoïsme,
son égotisme et sa froideur distante, le témoignage de Thomas agace le
spectateur davantage qu’il ne le touche ». Pauline Borsinger,
président de l’Association Stop-Suicide pense que l’histoire de Thomas ne colle
peut être pas au mieux avec l’objet du film, c’est-à-dire ouvrir le débat sur
le suicide qui touche beaucoup trop de jeunes et surtout servir à la prévention.
« Ce film ne pourra pas servir à la
prévention car il présente une démarche très élitiste et très romantique du
suicide. » Selon ces dires, parce que Thomas aurait choisit de montrer
son mal-être et de le filmer, il ne serait donc pas en conformité avec l’état
des suicidaires qui eux évitent pudiquement toute caméra. J’ai même lu
certaines réactions énonçant qu’avoir fait un film parlant du suicide avec une
personne comme Thomas était scandaleux, parce que Thomas avait tout pour être heureux et vivait dans une
condition sociale très satisfaisante comparé à d’autres pour qui « le
suicide serait plus justifié ». C’est oublier que le suicide est un mal
qui touche chaque personne, que l’argent ne fait pas forcément le bonheur, et surtout que chacun réagit différement selon sa sensibilité face aux situations que nous offre la vie. On
ne peut dénier la véracité de la souffrance de Thomas. Chaque être est
spécifique et ses souffrances réelles. Le film en est évidemment un témoignage.
Pour moi, le
moment le plus dur du film a été lorsque le moment programmé pour
passer à l’acte arrive. La cinéaste a eu le bon sens de ne pas sélectionner les
dernières vidéos pour son film. Le visionnage de sa lente agonie n’aurait été que
supplice pour le spectateur, tout en exacerbant le caractère de voyeurisme. Ce qui
m’a frappé a été le fait que Thomas, si décidé et longuement préparé à sa mort,
se voit entièrement démuni lors de son passage à l’acte. Il a envoyé ses
lettres d’adieu et ne peut faire marche arrière. Mais cela se voit, il n’en a plus envie. Il désire tellement qu’on
le sauve. On se dit alors qu’il y a peut être une différence entre
« vouloir se tuer » et « vouloir mourir ». La volonté de se
tuer sous entendant l’envie d’une réaction de la part des autres, comme si on
isolait l’acte de ses conséquences, et qu’en agissant on ne se projetait pas
dans l’après, dans la mort, comme si après on serait toujours vivant mais que notre
entourage aurait pris conscience de notre désespoir. La volonté de mourir inclut
elle la disparition totale de l’être…C’est un constat déchirant, c’est se dire
que les personnes qui mettent fin à leur vie, dans un contexte similaire à
celui de Thomas ne recherchent que de l’aide, d’un plan Y à la place de ce plan
Z pour apaiser leurs souffrances.
En
cela réside le principal constat que le peut se faire à la fin du visionnage de
ce film : la force salvatrice de la parole. Il faut parler des fortes
tristesses qui nous tourmentent et qui nous rendent cette vie impossible. Il ne
faut pas faire de l’histoire de Thomas le cas-type du jeune adolescent qui met
fin à ces jours puisque chaque suicide est différent. Seulement c’est tout de
même une conclusion que l’on peut se faire : les personnes qui passent à
l’acte le font justement parce qu’ils n’ont plus aucune autre alternative. Les
associations de prévention contre le suicide comme SOS Amitié prennent ici
toute leur force. Il est essentiel de les faire connaître à ces personnes en
difficulté. Celles-ci constituent cette alternative tant désirée, qui permettra alors il faut
l’espèrer, de constituer l’aide dont ces personnes en difficulté recherchent désespérement. Ceux-ci pourront alors entrevoir la possibilité d'avancer dans la vie, à la place de
capituler face à l’apocalypse de leur actuelle condition.
Liens sur la
prévention :