vendredi 17 mai 2013

Des corps au cinéma !


De haut en bas : Trash HumpersHarmony Korine, Les Idiots, Lars Von Triers
Dans l'avant dernier numéro des Cahiers du Cinéma (n°688), consacré au jeune cinéma français, Stéphane Delorme dans son papier Du lyrisme, en appelait à un renouveau du cinéma par le lyrisme. Bref je ne suis pas d'accord sur tous les points, notamment sur l'apologie du romantisme post nouvelle vague etc. Néanmoins j'ai retenu quelque chose d'important et qui pour moi définit le cinéma, dans sa matière même, quelque chose de délaissé : le corps mouvant. Filmer des gens. Les acteurs. Oui il y a toujours des acteurs dans les films – hors animation – mais le soucis est que trop souvent le cinéma est soumis à une histoire, à un désir de « raconter une histoire au lieu de filmer des gens. ». Or comme dit Delorme « devant la caméra, il y a d'abord quelqu'un à regarder. Le reste (narration, situations, personnages, mise en scène) en découle. La plupart du temps c'est l'inverse : on imagine des personnages, une histoire, un début, un milieu, une fin, et quand il reste du temps, on cherche un acteur, et s'il reste deux minutes, on finit par le regarder. ». Triste constat mais cela en dit long sur le manque d'inventivité, d'authenticité du cinéma actuel. Et pour caricaturer, c'est encore la suprématie de la forme littéraire sur le cinéma. Le cinéma est fait d'un désir de filmer des gens et ce désir manque cruellement. Désir de CORPS, d'ondulations des corps dans un espace.
   Un camarade de classe lors d'une discussion me faisait remarquer qu'à en voir ma cinématographie, j'aimais les cinéastes qui accordaient une importance primordiale au traitement des corps. J'ai un peu cogité, il me semble que c'est vrai. Il n'est donc peut être pas étonnant qu'un des seuls cinéastes que je trouve intéressant aujourd'hui soit Harmony Korine. Explication :
Photo extraite du tournage de Trash Humpers

    J'ai vu récemment Trash Humpers de ce même Harmony, bon il n'existe pas de version sous titrée, donc je n'ai pas compris grand chose des dialogues, surtout que c'est du ricain bien trash. Bref au contraire je trouve déjà ça génial de voir un film sans comprendre la matière verbale. Reste des images qui bougent avec des corps à l'intérieur. Bon vite fait qu'est-ce qui se passe dans ce film, un semblant d'histoire peut-être : une bandes de bras cassés sodomisent des poubelles, sucent et branlent des branches d'arbres. Ils chantent un peu, parlent des fois, cassent beaucoup de choses. Je pense que vous avez vite tilté que cette histoire est d'une absurdité extrême. Qu'a voulu faire Korine? Je n'en sais rien, je n'ai pas la tête à l'analyse. En tout cas ce qui est sûr c'est que sous ces atroces costumes se cachent sa bande de potes, et sans doute un gros délire. Ça suffit pour faire un film et c'est généreux. Il y a l'envie et le partage – le fait que le film existe – . Il y a surtout des corps et pas vraiment d'histoire. Le film est sans doute un collage de diverses improvisations, disons quelque chose de très peu écrit, qui laisse place au défoulement des corps, à la transgression : c'est magnifique.
Photo extraite du tournage de Spring Breakers

    Dans son dernier film, Spring Breakers, sorti récemment au cinéma et plus médiatisé, des petites stars Disney y tenant la vedette. En apparence fort éloigné de ses précédents films, en fait à y regarder de plus près, dans la continuité de sa démarche. Puisque qu'il y poursuit sa façon de faire un film. C'est-à-dire l'envie de filmer dans gens dans un endroit, avec un semblant d'histoire. Il a l'idée de ce film quand en vacances en Floride, il fait la connaissance du phénomène « spring break ». Les spring breaks, c'est ce moment suspendu pendant les vacances de printemps où des étudiants américains partent faire une « pause » au soleil à base d'alcools et de drogues. Bref ils s'adonnent à des orgies du matin au soir pendant une bonne semaine. C'est la défonce pour la défonce, la vacuité à l'état pur. D'ailleurs le film reprend les codes de la publicité – Korine est publicitaire –, les corps dénudés et sexy sont présentés comme des produits de consommation etc... C'est un film dans l'air du temps donc et ça c'est déjà une bonne chose. Spring Breakers suit 4 jeunes filles, en partance pour leur spring break, sauf que sans un sou, elles braquent un fast food pour se payer leur voyage et les voilà en Floride. En fait tant dans l'histoire que dans la façon de filmer, on n'est pas loin de ces émissions de TV réalité, style « Les anges » ou « Les chtis à Las Vegas » pour ce qui est de la France. Justement, et si la rédemption du cinéma était à trouver là?
    La télé réalité c'est quoi? C'est d'abord filmer des corps enfermés – on pense au cadre cinématographique – et puis au fur et à mesure pour nous divertir, y ajouter quelques manipulations scénaristiques. Du réel en boîte saupoudré de fiction. Du cinéma type docu-fiction, mais qui reste un divertissement pour con, OK. Alors n'est-ce pas le pouvoir de l'art de transfigurer cette vacuité, de la détourner? Ça donne des films comme Spring Breakers, Les Idiots, ou encore Dancer in The Dark de Lars von Trier.
   Il y a donc dans la télé réalité une bonne chose, la volonté des filmer des corps et leurs interactions. La limite se situe dans l'intention, moquer des gens pour divertir. Hors le cinéma est fait d'empathie et c'est là qu'il peut s'en éloigner. Voilà comment le cinéma peut filmer des corps aujourd'hui ou comment il doit le faire. C'est là que je m'éloigne du papier de Delorme : Romantisme post nouvelle vague vs télé réalité. Disons que nous n'avons pas eu le même biberon. Place aux jeunes!



+++ Pour poursuivre ma réflexion je vous invite à regarder donc tous les films d'Harmony Korine dont je n'ai parlé, tant il poursuit la même démarche, et donc au risque de me répéter (Gummo, Julien Donkey Boy pour les longs), les films de Lars Von Trier (surtout ses premiers). Moins connus, les films de l'anglais Andrew Kotting, qui est plutôt dans l'expérimental ou encore plus récent le film Putty Hill de Matthew Porterfield.

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