De haut en bas : Trash Humpers, Harmony Korine, Les Idiots, Lars Von Triers |
Dans l'avant dernier numéro des Cahiers du
Cinéma (n°688), consacré au jeune cinéma français, Stéphane
Delorme dans son papier Du lyrisme, en appelait à un
renouveau du cinéma par le lyrisme. Bref je ne suis pas d'accord sur
tous les points, notamment sur l'apologie du romantisme post nouvelle
vague etc. Néanmoins j'ai retenu quelque chose d'important et qui
pour moi définit le cinéma, dans sa matière même, quelque chose
de délaissé : le corps mouvant. Filmer des gens. Les acteurs. Oui
il y a toujours des acteurs dans les films – hors animation –
mais le soucis est que trop souvent le cinéma est soumis à une
histoire, à un désir de « raconter une histoire au lieu de
filmer des gens. ». Or comme dit Delorme « devant la
caméra, il y a d'abord quelqu'un à regarder. Le reste (narration,
situations, personnages, mise en scène) en découle. La plupart du
temps c'est l'inverse : on imagine des personnages, une histoire, un
début, un milieu, une fin, et quand il reste du temps, on cherche un
acteur, et s'il reste deux minutes, on finit par le regarder. ».
Triste constat mais cela en dit long sur le manque d'inventivité,
d'authenticité du cinéma actuel. Et pour caricaturer, c'est encore
la suprématie de la forme littéraire sur le cinéma. Le cinéma est
fait d'un désir de filmer des gens et ce désir manque cruellement.
Désir de CORPS, d'ondulations des corps dans un espace.
Un camarade de classe lors d'une
discussion me faisait remarquer qu'à en voir ma cinématographie,
j'aimais les cinéastes qui accordaient une importance primordiale au
traitement des corps. J'ai un peu cogité, il me semble que c'est
vrai. Il n'est donc peut être pas étonnant qu'un des seuls
cinéastes que je trouve intéressant aujourd'hui soit Harmony
Korine. Explication :
Photo extraite du tournage de Trash Humpers
J'ai vu récemment Trash Humpers
de ce même Harmony, bon il n'existe pas de version sous titrée,
donc je n'ai pas compris grand chose des dialogues, surtout que c'est
du ricain bien trash. Bref au contraire je trouve déjà ça génial
de voir un film sans comprendre la matière verbale. Reste des images
qui bougent avec des corps à l'intérieur. Bon vite fait qu'est-ce
qui se passe dans ce film, un semblant d'histoire peut-être : une
bandes de bras cassés sodomisent des poubelles, sucent et branlent
des branches d'arbres. Ils chantent un peu, parlent des fois, cassent
beaucoup de choses. Je pense que vous avez vite tilté que cette
histoire est d'une absurdité extrême. Qu'a voulu faire Korine? Je
n'en sais rien, je n'ai pas la tête à l'analyse. En tout cas ce qui
est sûr c'est que sous ces atroces costumes se cachent sa bande de
potes, et sans doute un gros délire. Ça suffit pour faire un film et
c'est généreux. Il y a l'envie et le partage – le fait que le
film existe – . Il y a surtout des corps et pas vraiment
d'histoire. Le film est sans doute un collage de diverses
improvisations, disons quelque chose de très peu écrit, qui laisse
place au défoulement des corps, à la transgression : c'est
magnifique.
Photo extraite du tournage de Spring Breakers
Dans son dernier film, Spring
Breakers, sorti récemment au cinéma et plus médiatisé, des
petites stars Disney y tenant la vedette. En apparence fort éloigné
de ses précédents films, en fait à y regarder de plus près, dans
la continuité de sa démarche. Puisque qu'il y poursuit sa façon de
faire un film. C'est-à-dire l'envie de filmer dans gens dans un
endroit, avec un semblant d'histoire. Il a l'idée de ce film quand
en vacances en Floride, il fait la connaissance du phénomène
« spring break ». Les spring breaks, c'est ce moment
suspendu pendant les vacances de printemps où des étudiants
américains partent faire une « pause » au soleil à base
d'alcools et de drogues. Bref ils s'adonnent à des orgies du matin
au soir pendant une bonne semaine. C'est la défonce pour la défonce,
la vacuité à l'état pur. D'ailleurs le film reprend les codes de
la publicité – Korine est publicitaire –, les corps dénudés et
sexy sont présentés comme des produits de consommation etc... C'est
un film dans l'air du temps donc et ça c'est déjà une bonne chose.
Spring Breakers suit 4 jeunes filles, en partance pour leur
spring break, sauf que sans un sou, elles braquent un fast food pour
se payer leur voyage et les voilà en Floride. En fait tant dans
l'histoire que dans la façon de filmer, on n'est pas loin de ces
émissions de TV réalité, style « Les anges » ou « Les
chtis à Las Vegas » pour ce qui est de la France. Justement,
et si la rédemption du cinéma était à trouver là?
La télé réalité c'est quoi? C'est
d'abord filmer des corps enfermés – on pense au cadre
cinématographique – et puis au fur et à mesure pour nous
divertir, y ajouter quelques manipulations scénaristiques. Du réel
en boîte saupoudré de fiction. Du cinéma type docu-fiction, mais
qui reste un divertissement pour con, OK. Alors n'est-ce pas le
pouvoir de l'art de transfigurer cette vacuité, de la détourner? Ça
donne des films comme Spring Breakers, Les Idiots, ou
encore Dancer in The Dark de Lars von Trier.
Il y a donc dans la télé réalité
une bonne chose, la volonté des filmer des corps et leurs
interactions. La limite se situe dans l'intention,
moquer des gens pour divertir. Hors le cinéma est fait d'empathie et
c'est là qu'il peut s'en éloigner. Voilà comment le cinéma peut
filmer des corps aujourd'hui ou comment il doit le faire. C'est là
que je m'éloigne du papier de Delorme : Romantisme post nouvelle
vague vs télé réalité. Disons que nous n'avons pas eu le même
biberon. Place aux jeunes!
+++ Pour poursuivre ma réflexion je
vous invite à regarder donc tous les films d'Harmony Korine dont je
n'ai parlé, tant il poursuit la même démarche, et donc au risque
de me répéter (Gummo, Julien Donkey Boy pour les longs), les films
de Lars Von Trier (surtout ses premiers). Moins connus, les films de
l'anglais Andrew Kotting, qui est plutôt dans l'expérimental ou
encore plus récent le film Putty Hill de Matthew Porterfield.
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