jeudi 30 mai 2013

L'Image : Schiele, Autoportrait

L ' I M A G E


Egon Schiele, Autoportrait, 1912
 
   Corps et histoire de l'art, vaste panorama de recherches non assouvies... Corps schématisé, corps idéalisé, corps renié et diabolisé, corps détruit, corps reconstruit... Parmi tous les choix qui m'étaient offerts, j'ai décidé de vous parler du peintre autrichien Egon Schiele. En effet, il a toujours été pour moi le grand peintre du corps et de ses paradoxes, peut être parce que la force et la violence de ses traits rendent son propos plus parlant, plus marquant. Les corps maigres aux couleurs cadavériques et aux poses torturées, les corps effrayants ou pathétiques, les corps à l'érotisme cru, ce sont ceux là qui composent les nombreuses peintures d'Egon Schiele. Ce dernier était initialement un grand admirateur de Klimt. Il a donc comme lui fait partie de la Sécession Viennoise au début du XXème siècle, pour enfin acquérir une célébrité manifeste grâce à ses portraits aux traits expressionnistes et ravageurs.

    Selon moi, de son « Autoportrait » de 1912 découle tout le sens de l'ensemble de l'oeuvre de Schiele, puisqu'il nous montre le processus et la finalité de sa peinture. On note tout d'abord que cet autoportrait n'est pas « réaliste ». Le visage, maigre, a des proportions étranges. Le regard est ici central, une forte intensité s'en dégage, Schiele nous regarde, et plus probablement se regarde lui même. Pour lui, l'auto-analyse est le meilleur moyen pour entreprendre sa quête de la vérité de l'être et de la peinture. Le corps, son corps, devient expérimental. L'autoportrait se transforme en miroir, le miroir du peintre, lui apportant une vision plus réelle de son être, et plus emprunte de vérité comparée aux autoportraits « classiques » et « réalistes ». Les portraits de Schiele deviennent alors miroirs de l'intériorité de l'individu, reflets de ses tensions et de ses contradictions, de ce qu'il refoule et de ce qui ne peut alors s'exprimer qu'à travers ce miroir. Un parallèle évident est à faire avec la naissance de la psychanalyse et les travaux de Freud qui à cet époque étaient déjà reconnus. Cependant, la réflexion de Schiele semble plutôt indépendante de cette effervescence « psychanalytique » qui avait lieu à Vienne. Ainsi, pour Schiele, c'est par le peintre et grâce à lui que la vérité de l'être pourra alors s'exprimer.

    Le corps exposé par le peintre est en réalité une partie de l'individu, celle qui se cache en deçà des apparences. Le miroir devient un miroir déformant. Les poses exacerbées des portraits de Schiele démentent en réalité l'unité de la personne, et celle-ci se reconnaît comme divisible. La personne dans le miroir devient autre et on peut ressentir une certaine dépersonnalisation. Pourtant nous sommes au plus proche de la vérité de notre personnalité, aux multiples facettes... Les contemporains de Schiele semblent avoir éprouvé, à la vue de ses autoportraits, quelque chose de similaire de celle du « portrait de Dorian Gray » du roman d'Oscar Wilde (le portrait peint devient le miroir de l'âme). Ainsi, Schiele cherche l'autre moi que ses tableaux lui permettent de fixer. Le motif récurrent de ses tableaux est cette main dont les doigts forment un V. Impossible de savoir sa réelle signification, mais je pense à un mouvement de coupure, comme un ciseau qui par son biais permet le passage d'un moi à un autre, inconnu. D'une certaine façon, on peut affirmer que Schiele est le peintre du déchirement moderne de la personne.

    Ainsi l'oeuvre de Schiele est riche et vaste : réflexion sur les affects refoulés de l'individu qui se cherche, mais également réflexion sur la sexualité et ses pulsions liées aux interdits d'une société conservatrice et hypocrite (pour beaucoup de ses peintures). Afin de s'exprimer, le peintre a comme outil le corps, qui devient terrain d'expérimentations mais aussi ce langage détenant toutes les vérités.

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