L
' I M A G E
Egon
Schiele, Autoportrait, 1912
Corps et
histoire de l'art, vaste panorama de recherches non assouvies...
Corps schématisé, corps idéalisé, corps renié et diabolisé,
corps détruit, corps reconstruit... Parmi tous les choix qui
m'étaient offerts, j'ai décidé de vous parler du peintre
autrichien Egon Schiele. En effet, il a toujours été pour moi le
grand peintre du corps et de ses paradoxes, peut être parce que la
force et la violence de ses traits rendent son propos plus parlant,
plus marquant. Les corps maigres aux couleurs cadavériques et aux
poses torturées, les corps effrayants ou pathétiques, les corps à
l'érotisme cru, ce sont ceux là qui composent les nombreuses
peintures d'Egon Schiele. Ce dernier était initialement un grand admirateur de Klimt. Il a donc comme lui fait partie de la Sécession Viennoise au début
du XXème siècle, pour enfin acquérir une célébrité manifeste
grâce à ses portraits aux traits expressionnistes et ravageurs.
Selon moi,
de son « Autoportrait » de 1912 découle tout le sens de
l'ensemble de l'oeuvre de Schiele, puisqu'il nous montre le processus et la finalité de sa peinture. On note tout
d'abord que cet autoportrait n'est pas « réaliste ». Le
visage, maigre, a des proportions étranges. Le regard est ici
central, une forte intensité s'en dégage, Schiele nous regarde, et
plus probablement se regarde lui même. Pour lui, l'auto-analyse est
le meilleur moyen pour entreprendre sa quête de la vérité de
l'être et de la peinture. Le corps, son corps, devient expérimental.
L'autoportrait se transforme en miroir, le miroir du peintre, lui
apportant une vision plus réelle de son être, et plus emprunte de
vérité comparée aux autoportraits « classiques » et
« réalistes ». Les portraits de Schiele deviennent alors
miroirs de l'intériorité de l'individu, reflets de ses tensions et
de ses contradictions, de ce qu'il refoule et de ce qui ne peut alors
s'exprimer qu'à travers ce miroir. Un parallèle évident est à
faire avec la naissance de la psychanalyse et les travaux de Freud
qui à cet époque étaient déjà reconnus. Cependant, la réflexion
de Schiele semble plutôt indépendante de cette effervescence
« psychanalytique » qui avait lieu à Vienne. Ainsi, pour
Schiele, c'est par le peintre et grâce à lui que la vérité de
l'être pourra alors s'exprimer.
Le corps
exposé par le peintre est en réalité une partie de l'individu,
celle qui se cache en deçà des apparences. Le miroir devient un
miroir déformant. Les poses exacerbées des portraits de Schiele
démentent en réalité l'unité de la personne, et celle-ci se
reconnaît comme divisible. La personne dans le miroir devient autre
et on peut ressentir une certaine dépersonnalisation. Pourtant nous
sommes au plus proche de la vérité de notre personnalité, aux
multiples facettes... Les contemporains de Schiele semblent avoir
éprouvé, à la vue de ses autoportraits, quelque chose de similaire
de celle du « portrait de Dorian Gray » du roman d'Oscar
Wilde (le portrait peint devient le miroir de l'âme). Ainsi,
Schiele cherche l'autre moi que ses tableaux lui permettent de fixer.
Le motif récurrent de ses tableaux est cette main dont les doigts
forment un V. Impossible de savoir sa réelle signification, mais je
pense à un mouvement de coupure, comme un ciseau qui par son biais
permet le passage d'un moi à un autre, inconnu. D'une certaine
façon, on peut affirmer que Schiele est le peintre du déchirement
moderne de la personne.
Ainsi
l'oeuvre de Schiele est riche et vaste : réflexion sur les
affects refoulés de l'individu qui se cherche, mais également
réflexion sur la sexualité et ses pulsions liées aux interdits
d'une société conservatrice et hypocrite (pour beaucoup de ses
peintures). Afin de s'exprimer, le peintre a comme outil le corps,
qui devient terrain d'expérimentations mais aussi ce langage
détenant toutes les vérités.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire