LA RENAISSANCE DE LAURENCE ALIA
« C’est une
révolte ?
- Non sir, c’est une
révolution. »
Aujourd’hui si l’on
parle de cinéma canadien, le nom du jeune québécois Xavier Dolan risque qu’on
le veuille ou non de nous venir à l’esprit. Après deux films remarqués (l’introspectif
« J’ai tué ma mère » et le très esthétique « Les amours
imaginaires »), le 18 juillet de cette année, X.Dolan nous a offert « LAURENCE
ANYWAYS », au format ambitieux (159 min). Ce film retrace sur une décennie
(1987-1999) la vie d’un couple singulier, et plus particulièrement à la suite
du choix de Laurence de s’assumer tel qu’il
est, c’est-à-dire une femme, au mépris de tous les codes établis par la société.
Au-delà du thème
apparent et revendiqué du changement de sexe, c’est davantage la volonté de
briser un tabou que le transsexualisme même qui est la substance du film. Tout
est histoire de regards. Tout d’abord celui que se porte Laurence Alia (le
touchant Melvil Poupaud) sur lui-même. « Ça
fait 35 ans que je vis comme ça et c’est un crime. C’est très important, faut
que ça sorte, faut que je te le dise. Je
vais mourir si je te le dis pas. » C’est à partir de cette déclaration,
imprévue, mais pourtant des plus sincères, vitales, que le confort du couple
Fred-Laurence se brise, et que la vie de ces deux êtres bascule. A sa 35ème
année, Laurence fait le constat que toute sa vie il a nié et tue sa
personnalité. 35 ans c’est trop, beaucoup trop, il faut que cela cesse. Ces
années d’existence ne sont que l’imposture d’une fuite systématique d’une « différence ». Laurence est né
homme mais se sent femme. A l’observation de sa compagne Fred (jouée par la
très juste et marquante Suzanne Clément) « Tu me mens depuis deux ans », Laurence ne peut que répondre « Non j’ai pas menti, j’ai juste rien
dit ». Ne rien dire. Taire son être. S’empêcher de vivre pleinement,
au motif que ce n’est pas normal et que personne, ni la société, ni Fred, ni sa
famille, ne pourrait l’assumer, le supporter, le comprendre, l’accepter. Tant
que Laurence n’assumera pas sa différence à la vue de tous et qu’il ne se sera
pas accepté en tant que tel qu’il ne pourra être enfin normal.
« Déguisée » comme le dit sa mère (Nathalie
Baye, exceptionnelle comme toujours), Laurence rayonne, détonne et étonne.
Laurence est belle. Mais le but de Laurence est d’être acceptée de la société.
Elle ne veut pas vivre recluse. Continuer à vivre comme avant, avec le même
entourage, est son seul désir. L’acceptation de son être par les autres
constitue la difficulté de sa renaissance. Car le centre du propos est
là : la société rejette la différence, la pointe du doigt et se borne aux
préjugés… sans porter sa réflexion au-delà. La scène dans le café, poignante est très
illustratrice. Fred y exprime son exaspération devant tout le monde, après
l’intervention de la serveuse. Saturation de ces regards lourds à supporter au
quotidien, de toutes ces personnes muettes mais dont le jugement se lit très clairement
sur leur visage... La société emprisonne d’une certaine manière les
individualités, imposant ses codes, dont celui du rejet de ceux qui ont le
courage d’assumer le fait d’être au-delà des normes … Etre un homme et se
« transformer » en femme, n’est-ce pas l’expression ultime de la
différence ? C’est pour cette raison que X.Dolan a choisi de conter
l’histoire de Laurence Ali. Il est important cependant de remarquer que, comme
le dit le réalisateur lui-même, personne du film n’aspire plus à la normalité
que Laurence.
« C’est un film sur le regard, sur le regard que la société porte sur les
gens différents, la façon dont elle les marginalise. Au final le personnage
principal se trouve être le plus normal de toute la galaxie de personnages se
trouvant autour de lui. Tout le monde dans le film est très caricatural … des
vieilles putes burlesques à la bourgeoisie droitiste. Il n’y a personne dans le
film qui est plus en quête de tranquillité et normalité que Laurence, qui veut
enseigner, qui veut faire son livre, qui veut vivre sa vie. »
AMOUR HORS-NORMES
Fred : « Il
faut redescendre sur terre Laurence.
Laurence :
A quoi ça sert de redescendre quand on est monté si haut ? »
Au-delà de la critique
de la société, «Laurence Anyways » est avant tout l’histoire d’un amour passionnel
entre deux personnes, Fred et Laurence. Fred est en effet prête à accompagner
Laurence dans sa transformation et à affronter avec lui le regard que leur
porte la société. Mais se lancer corps et âmes dans cet amour
« extra » ordinaire n’est-ce pas fuir la réalité et une certaine
fatalité ? Fred elle-même le dit : « Tout ce que moi j’aime de toi c’est ce que toi tu détestes de toi ». Faut-il
renoncer à l’être aimé parce que la douleur est trop grande, ou alors l’aider dans
sa nouvelle naissance en dépit des opinions des autres, et même de notre propre
bonheur ? Faut-il donner une chance à ce qui continue d’être une histoire
d’amour ou se rendre à l’évidence et se dire qu’on ne peut au final être
heureux dans une telle situation ? Fred a fait le choix d’y croire et nous
assistons aux péripéties de cet amour. Seulement l’étendue temporelle du film
nous permet de connaître les hauts et les bas de leur histoire, et la lutte
pour la permanence de cet « amour impossible » fait naître en nous
tendresse et mélancolie. On peut ainsi qualifier les trois films que X.Dolan a
réalisé comme une sorte de trilogie inconsciente sur l’amour impossible. Ainsi
« J’ai tué sur ma mère » serait l’amour impossible entre un garçon et
sa mère à l’adolescence, « Les amours imaginaires » l’amour
impossible jeune et enfin « Laurence Anyways » l’amour
impossible adulte.
L’amour familial est ici incarné par la « guest star » du
film, Nathalie Baye. Son personnage est particulièrement touchant, en parti
grâce à la franchise emprunte de subtilité de son jeu. X.Dolan n’est pas tombé
dans le cliché de la réaction de la mère s’inculquant la faute de
l’ « anormalité » de son fils. « Tu veux que je réagisse comment Laurence ? ». Cette
apparente indifférence cache en réalité un profond bouleversement. Car la mère
de Laurence est le seul personnage qui, au cours du film, connaît une évolution
psychologique positive suite au changement de Laurence. En effet, elle se remet
à peindre, et décide de mettre fin à l’inertie de sa vie de femme et de couple.
Si son fils a le courage de s’assumer, n’est-elle pas capable elle aussi de
faire un effort pour être heureuse ? Nathalie Baye prononce ces mots
touchants : « Je n’ai jamais eu
l’impression que tu étais mon fils... Par contre, j’ai l’impression que tu es
ma fille. » Lorsque le fils et la mère se sentent épanouis en leur propre
personne, alors la relation conflictuelle devient apaisée.
LA « DOLAN TOUCH »
Ce n’est pas une
nouveauté, la musique a depuis les premiers pas cinématographiques de X.Dolan une
importance primordiale. C’est sûrement l’aspect qui me plaît le plus dans ses
films. Il y a une harmonie magique entre les sons et les images, entre les
sentiments exprimés par le film et ceux ressentis par le spectateur. Cette harmonie
confère au cinéma de X.Dolan toute sa puissance. Il y a un soin particulier
apporté aux plans, et certaines scènes pourraient être visionnées des centaines
de fois avec le même émerveillement et sans ennui grâce à la beauté de
l’ensemble. Pour X.Dolan, la musique est un personnage de ses films. Elle est
son instrument de communication avec le spectateur. Avec « Laurence Anyways »
j’ai été subjuguée dès les premières secondes. La scène d’ouverture où Laurence
marche dans une rue embrumée telle un songe est une introduction esthétique et
musicale magistrale ; sur un air d’un de mes groupes préférés que je vous conseille
vivement de découvrir si le nom de FEVER RAY ne vous dit rien. En définitive, la
seule nuance à mon enthousiasme concernant le film serait peut être sa
longueur, même si les scènes d’explosion musicale et esthétique lui confèrent
un rythme singulier. Ainsi on accepte tous les excès de X.Dolan, car son cinéma
serait peut être en définitive le cinéma de l’excès, excès d’instants
magnifiques et touchants de la vie, qu’on accentue et ralentit, par le biais d’une
harmonie visuelle et sonore... Le cinéma en a le pouvoir, X.Dolan l’ayant bien compris,
exploite cela avec génie.
TU as vraiment du style ma petite Clara, je trouve les parties bien choisies, et tu arrives très bien à nous faire passer le plaisir que tu as eu en regardant ce film.
RépondreSupprimerTes commentaires au sujet des personnages, tel que(Nathalie Baye, exceptionnelle, comme toujours) m'ont bien fais rire, et ne laissaient aucun doute sur ta personne.
Après tout, tu as réussis ce que tous grands chroniqueurs auraient fait : Nous donner l'envie de regarder ce film.