samedi 10 décembre 2011

Quand on tombe amoureux d'un livre... À Rebours de J.K. Huysmans



I
l y a des livres comme ça, quand tu les lis, ça change ta vie
. À Rebours est un de ces livres. Jusqu'à l'été dernier, je n'avais jamais entendu parler ni du bouquin, ni de l'auteur. Si je l'achète, c'est sur les conseils d'une amie. Quelle riche idée elle a eu là !

Dans À Rebours, il n'y a pour autant dire pas d'histoire. Rien ne se passe, le personnage principal, des Esseintes, vit reclus chez lui dans la campagne autour de Paris, ne sort jamais, vit la nuit, ne mange pas... Ce des Esseintes est en quelque sorte un représentant de l'esprit décadent de la fin du 19e siècle, à la fois angoissé, névrosé, tantôt grotesque, tantôt pathétique... Et Huysmans, dans ces 300 pages, nous fait une sorte de catalogue de ce qu'aime et de ce que n'aime pas des Esseintes.

On pourrait donc se demander quel serait l'intérêt d'un tel livre, si rien ne s'y passe. C'est ce dont j'avais peur. Mais Huysmans nous entraîne dans cet univers confiné, et nous fait partager les craintes et les doutes de son personnage. Celui-ci se laisse parfois aller à des rêveries, des pensées, même de véritables délires ! Il va par exemple vouloir, à un moment, pour se distraire, vouloir "préparer un assassin", c'est-à-dire prendre sous son aile un garçon des rues, lui faire goûter à tous les plaisirs possibles et imaginables, puis, une fois qu'il se sera habitué au luxe, lui couper les vivres. Il sera alors condamné à voler et à tuer pour continuer à vivre la vie à laquelle on l'avait habitué. Machiavélique... Une autre de ses excentricités sera d'acheter une tortue, et de faire sertir sa carapace de pierres précieuses...


Mais si j'ai adoré ce livre, c'est surtout pour la langue. Je considère Huysmans comme un véritable génie de la langue. Jamais je n'avais lu quelque chose d'aussi beau, d'aussi travaillé, d'aussi détaillé. Génie, orfèvre, Huysmans est un écrivain exceptionnel. Certains passages m'ont beaucoup marquée, je pense notamment à des endroits où l'auteur, sur trois ou quatre pages, s'étend sur la question de la couleur de tapisserie que des Esseintes essaie de choisir pour son salon : il passe en revue les bleus, les gris, les verts, les rouges, en leur trouvant à chaque fois des défauts. Je me rappelle aussi d'un passage mémorable dans lequel il associe chaque alcool de son orgue à liqueurs. C'est hallucinant de voir comment il se met à créer un orchestre à coup de curaçao (la clarinette), de gin (le trombone) ou d'anisette (la flûte). Mais comme ça ça ne donne pas grand chose, il faut vraiment le lire pour comprendre. Il est vrai cependant qu'il n'hésite pas à utiliser du vocabulaire d'intellectuel, et que cela peut être gênant. Du coup j'avais toujours mon dictionnaire à portée de main, et puis comme ça en même temps on se cultive, on apprend des mots nouveaux -même s'ils risquent de ne jamais nous servir...

Et puis je dirais aussi que j'ai bien aimé la manière dont il démonte littéralement tous les auteurs classiques, pour n'en garder que certains, peu connus. Il en vient par exemple à parler des œuvres d'Horace, poète latin, comme d'un "babillage d'un désespérant pataud qui minaude avec des gaudrioles plâtrées de vieux clown". Méchant. Et puis côté peinture, il aime les mêmes artistes que moi, donc nous ne pouvons que nous entendre ! À Rebours contient de magnifiques descriptions de tableaux de Gustave Moreau et d'Odilon Redon, par exemple.

Voilà donc un livre comme je n'en avais jamais lu avant, et que je ne risque pas d'oublier. Je peux vous garantir qu'il aimante son lecteur, qu'il le fascine, et que c'est impossible de s'en séparer, une fois qu'il vous a conquis, c'est pour la vie.


Pour les curieux, L'Assassin qu'elle mérite, c'est une super BD inspirée de l'entreprise de des Esseintes de former un assassin pour la société. À déguster avec autant de plaisir qu'À Rebours !



Images : Google

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