samedi 24 décembre 2011

Vous prendrez bien un peu de Omar pour Noël.









Il y a cent façons et autant de raisons d'aimer quelqu'un ou quelque chose. Pour ce 24 décembre 2011, je voulais rédiger un texte sur l'amour. J'ai décidé d'écrire sur The Wire, la série créée par David Simon et Ed Burns en 2002. Cette oeuvre provoque une attirance viscérale, une passion engagée, du rang de celles qui ne sont éveillées que par quelques auteurs seulement, saisissant le monde dans sa complexité pour le refléter dans des constructions narratives brillantes et inouïes. Le livre est leur matériau de prédilection, parfois le cinéma, rarement la télévision. Pourtant, The Wire, est une création du petit écran. Ce qui, au vu de la médiocrité de la production littéraire contemporaine (ou du moins de ce qu'on nous en donne à lire) permet d'ouvrir un champ de réflexion sur l'espace privilégié de la création actuelle. The Wire raconte l'histoire d'un groupe de policiers et d'enquêteurs chargés de démanteler un réseau de dealers dans les projects de Baltimore, c'est-à-dire dans les cités. Mais dire cela, c'est ne rien dire du tout et malgré mon peu d'envie d'en dévoiler l'intrigue, il faut bien m'étendre sur le sujet pour faire comprendre l'extrême qualité de cette série, si noire que l'on se trouve happés par son tourbillon mais dans le même temps si lucide qu'elle éveille ses milliers de lumières dans la tête. Le véritable point de mire de la série est Baltimore, ville la plus pauvre de la côte Est des Etats-Unis et - corollaire bien américain - cité presque entièrement peuplée de Noirs. The Wire s'en veut un portrait total. Les auteurs embrassent toutes les strates de la réalité, toutes les institutions, jusqu'au journal local, vécues de tous les points de vue. On y fait aussi le tour de l'humain, du racisme à l'homosexualité, en passant par les lâchetés quotidiennes provoquées par un système libéral qui, en plus d'avoir ruiné cette ville et les espoirs de ses milliers d'habitants, les assigne à n'avoir que deux choix de vie : devenir junkie ou devenir dealer. Les institutions (policières, scolaires, politiques et judiciaires) sont mitées par le manque d'argent au point que toute opération ne ressemble qu'à du bricolage désespérant. Dans les projects, à part quelques patrouilles de police, plus aucun service public. Le bien-être et la santé des habitants sont laissés aux bonnes oeuvres et aux âmes charitables, autant dire à personne ou presque. La violence est partout, mais la pire de toutes, qui pourtant n'a pas de flingue, c'est celle qui broie l'individu, celle qui le laisse pantelant sur les trottoirs sales de Baltimore Ouest, seul et transi, sans amour. La violence silencieuse qui s'abat sur celui qui naît pauvre dans un pays riche : ça vous rappelle quelque chose ? Je continue ?



The Wire se trouve être l'oeuvre la plus sombre et la plus aboutie que j'aie pu lire, entendre ou voir sur le sujet de la vie moderne en société dans les pays occidentaux. Intelligente et sans relâche, elle vous plaque son poing dans la figure car son propos est politique, au sens premier du terme : elle montre la cité, ce lieu du vivre ensemble, dans l'abjection désespérante qu'elle semble être devenue ces dernières années. Mais dans sa noirceur même surnage une humanité que seule une dramaturgie maîtrisée à l'extrême pouvait faire apparaître : et là, je veux parler d'Omar.





"Yo, yo, Omar comin' "



Personnage solitaire et atypique, Omar Little porte à lui seul cette étincelle qui fait la puissance du héros tragique : fuyant sans cesse son destin, il ne lui échappe cependant tout à fait jamais, jusqu'à l'issue forcément fatale qui le remet à sa place dans le grand tourbillon. Barack Obama a affirmé qu'il était son personnage de fiction préféré et l'acteur qui l'incarne avoue qu'aujourd'hui encore, il se fait traiter de "cocksucker" par des passants dans la rue : c'est dire la force persistante de ce rôle d'homosexuel des projects, fin, drôle et violent, qui ne choisit jamais son camp mais vit dans la haine de quelque chose qu'il ne peut identifier, dans la détestation de la fatalité du pauvre, dans le refus du modèle qu'on lui impose. Omar Little n'est pas un gangsta, il n'est pas non plus une balance. C'est un voleur, animé par l'esprit de vengeance qui survole les règles et réinventent ses propres méthodes. L'humanité du personnage saute à la gorge et, quand la noirceur du monde dépeint dans la série - notre monde - se fait trop lourde, elle devient la respiration nécessaire à toute survie.
Si les temps sont durs, les conflits violents et l'injustice des situations collectives trop réelle, The Wire n'est pas le remède : elle est le miroir qu'il nous faut bien accepter de regarder sans concession. Pour espérer changer un jour.








... and merry christmas to all !


















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